*Le passage* (Fabienne)
Mon ventre arrondi te cajole encore quelques instants, tu le quittes sans attendre, la tête en avant. Toujours relié à ton monde liquide, tu es posé sur mon corps fatigué, nu et mouillé, les yeux fermés. J'essaye de te rassurer, te touche, te caresse, du bout des doigts. Comment faire ? Nos deux cœurs se séparent, nos deux vies aussi, le cordon, notre relation, coupée par la main d'un étranger. Ton existence s'éveille, ton père te donne un prénom, ses larmes coulent, tu as rompu le barrage de ses émotions, il ne se fermera plus. Ils t'ont emmené, tu l'as accompagné. Je me retrouve seule, déchirée, vidée. Les machines ne bipent plus, ne calculent plus ; « ils » ne me surveillent plus. Tu me reviens, lavé, mesuré, pesé, examiné dans un pyjama trop grand. Tu me reviens en bonne santé, porté par ton père jusque dans mes bras tremblants. Nous sommes tous les trois, désormais, pas tout à fait là, oppressés par ces murs livides, tout à fait à toi, emmailloté dans notre tendresse. Tu étais sentiments, sensations, désagréments parfois, maintenant tu es là suçant mon sein gonflé avec délectation.
FABIENNE
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