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Témoignage de Jean-Claude: Marima, la femme qui lui offre l'amour à 14 ans

Premières fois

Extrait de l'Anthologie de témoignages saisissants recueillis par Jean-Pierre Guéno dans *Premières fois, le livre des instants qui ont changé nos vies*

 

 

*Marima* (Jean-Claude)

 

Béziers, inondé de ce foutoir qu'est Mai 1968. Je vais au cinéma comme l'on va en campagne militaire tant le trajet est obscurci de cars de CRS, de flics, de tracteurs de paysans. La foule est dense mais mes quatorze ans se fraient un passage dans cette masse tantôt disloquée par de violents assauts guerriers, parfois homogène tant la populace s'agglutine autour d'une seule idée généreuse mais quelquefois pathétique, la grève ! Le cinéma est fermé, l'électricité demeurant par trop vacillante. Alors, mes quelques thunes en poche, je me décide dans la pénétration de cette masse gueulante, gesticulante et toujours debout bien que parfois elle saigne des coups qu'elle se prend dans la gueule...

« Où tu vas, petit ? » Me demande-t-elle. Elle est là depuis toujours peut-être. Coiffée d'un casque de cheveux noirs comme la misère, elle semble une Cléopâtre. Je la regarde. Elle est belle, grande, et ses longues jambes portent haut un cul qui, dans cette vertigineuse hauteur, oscille avec une grâce parfaite. La jupe, à ras le bonbon, me laisse la certitude que le paradis, c'est aussi une question de mode. Que répondre, que dire ? Mes quatorze ans ne m'ont guère préparé à une vie contemplative... De la femme, je ne sais que les inconvénients et les vertus. La femme, c'est bien celle qui abrite les débuts d'homme dans son ventre. C'est ainsi que les Jésuites me l'ont enseignée... Alors, moi, je me disperse dans leurs assertions, me répands dans le doute et enfin formule un balbutiement violemment hoqueté. « Bonbon-bonjour ma-ma-madame... » Je ne puis terminer ma politesse. Je transpire abondamment. La chaleur doucereuse de ce printemps agité, certainement. Et je la suis, puisqu'elle me demande de monter. J'ignorais qu'avant l'horizontal, les putes déclinaient toujours une invite dans le vertical. Ainsi, je monte, et dans l'escalier qui me descend dans un autre enfer, c'est son valseur que j'ai sous le nez. Putain ce que c'est beau ce truc-là ! Deux pommes mûres, l'une sœur de l'autre. Les fruits divins d'une plantation qu'un jardinier attentif réserve aux appétits subtils. Puis c'est la chambre. Misérable endroit qu'un œil-de-bœuf semblable à un œil de verre semble épier.

« Viens mon chéri, je vais te laver le Jésus... » Le Jésus ! ? Moi, un Jésus, j'en connais un, bien sûr ! C'est ce mec insensé qui se balade dans la vie afin d'y déceler les imperfections. Mais celui-ci, c'est le mien, c'est mon bout de bon Dieu à moi, c'est ce truc rigolo qui me taquine les neurones et avec lequel nous mesurons l'interdit mes potes et moi, dans d'anodines débauches, lorsque l'un d'entre nous nous fourgue sous le manteau un Paris Hollywood où d'énormes culs et nichons nous apprennent de nouvelles anatomies. Et mon Jésus à moi, elle le décloua pour l'asperger d'une
eau savonneuse qui le noya dans un rituel où le baptistère sentait singulièrement fort le stupre et la luxure.

Bon Dieu, que cette toilette m'affole ! Je veux la toucher, la sentir, m'inonder d'elle. Et je la touche, la sens, m'inonde d'elle pour enfin m'abrutir de nouvelles douleurs. De ces douleurs qui laissent au corps des lambeaux de mémoire. De cette mémoire qui vous ramène aux sens que l'on perd, ou que l'on ignore.

[…]

L'épuisement, mon premier épuisement enfin... Mon premier combat, ma première victoire aussi...

Et, tout doucement, avec cette lenteur que les mamans prodiguent aux enfants apeurés, elle pose ma tête sur sa poitrine et sa poitrine s'enfle de sa respiration haletée, et sa respiration exhale un doux parfum, et ce parfum m'inonde de rêves, et mes rêves s'allongent sur sa poitrine.

Je suis heureux...


Et lorsque je pris congé, elle me fit promettre de revenir. Dans ma poche, de l'argent. Le mien puis le sien aussi.

« Tu sais, je m'appelle Marie-Madeleine », me dit-elle.
Je sus à cet instant précis que j'étais un dieu, et que cette Marie de Magdala, c'était celle qui lavait les pieds de Jésus pour enfin les essuyer avec de longs cheveux, les siens... Je revins la voir... Je l'aimais et elle m'aima jusqu'à ce que mes dix-sept ans l'emportent sur ses trente-neuf à elle...

Mon père apprit cet amour incroyable et me fracassa la gueule...

Elle fut condamnée pour détournement de mineur et se suicida le 21 février 1971. Ces lignes lui sont dédiées.

JEAN-CLAUDE

 

 

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